Pluralisme et souverainisme: démêler l'impératif moral du projet politique
Le débat en cours (surtout parmi les lecteurs du Devoir, il faut bien le dire....) à propos du Manifeste pour un Québec pluraliste (que j’ai signé), gagnerait à démêler, je crois, deux niveaux de réflexion qui ont tendance à être confondus.
Le premier niveau de réflexion concerne le postulat moral sous-tendu par le Manifeste : dans le Québec (et le monde) de 2010, nous avons le devoir moral de réfléchir le vivre-ensemble à partir de la reconnaissance des différences.
Il s’agit d’une position pluraliste minimale qui considère que l’avenir de nos sociétés passe par cette acceptation fondamentale de nos différences (individuelles et collectives). Il s’agit d’une base de réflexion qui vient remettre en question, de manière radicale, la pensée occidentale telle que développée au fil de la création des États nations. Pour certains signataires, le pluralisme, comme position morale, va sans doute plus loin : il ne s’agit pas seulement de « reconnaître » les différences, mais de les « valoriser ». Ceci dit, cette gradation différentielle ne me semble pas constituer le cœur du débat.
Cette position minimale est liée à la croyance profonde que les sociétés post-modernes (occidentales et non-occidentales) ne peuvent plus faire l’économie d’une réflexion historique et globale des conditions qui ont prévalu et qui prévalent aujourd’hui à leur existence. Par exemple, comment le Québec est-il devenu le Québec ? Par des luttes d’émancipation, certes, mais aussi par l’imposition brutale d’une domination occidentale sur des peuples autochtones qui n’en demandaient pas tant. Ce n’est qu’un exemple. Nous n’avons pas, bien sûr, le monopole de cette histoire coloniale, mais la partager avec d’autres nations ne signifie pas que nous devons l’omettre. Autre exemple : comment le Québec, comme société capitaliste, parvient-il à se maintenir parmi les pays les plus riches de la planète ? Parce que nous participons à la reproduction d’un système économique mondiale profondément inégalitaire qui maintient, de manière structurelle, des sociétés (voir des continents) dans la misère. Nous ne pouvons plus penser nos rapports aux « autres » et à « l’Autre » en-dehors de ce cadre. Dernier exemple : nous reconnaissons très largement que notre développement collectif repose sur un besoin en « main-d’œuvre externe ». Pouvons-nous demander aux personnes dont nous avons collectivement besoin de laisser leurs différences à la frontière et de correspondre quasi-instantanément à un idéal de citoyenneté (non définit et non consensuelle) en transformation constante ? La moindre des choses n’est-elle pas, en premier lieu, de prendre acte, de ces différences et de réfléchir à ce qu’il est possible de faire avec, comme société.
Une fois que l’on accepte de réfléchir à partir de ce postulat, on quitte le terrain de la morale pour entrer sur le terrain du projet politique. C’est là que se situe le deuxième niveau de réflexion : quel projet politique voulons-nous mettre de l’avant pour penser le vivre-ensemble à partir de nos différences ? Et là, le débat, la discussion, la conversation peuvent réellement commencer. Et là aussi, nous pouvons nous permettre, comme collectivité d’être créatif.
Pourquoi, au Québec, ne serions-nous pas en mesure de penser la souveraineté, l’indépendance politique du Québec, comme projet de reconnaissance d’une communauté politique imaginée, à partir d’une position morale pluraliste ?
Le projet multiculturaliste à la Trudeau est un projet politique issu d’une position morale pluraliste, certes. Mais le pluralisme n’est pas réductible à la solution politique mise de l’avant par Trudeau. En-dehors du Canada, d’autres sociétés sont en train de bricoler des solutions politiques (notamment en Amérique latine) qui tentent de définir un « mieux-vivre » ensemble sur la base de la reconnaissance des différences. Pourquoi ne serions pas en mesure de mener cette réflexion, ici, au Québec ? Pour cela, peut-être faudrait-il non plus seulement réfléchir à ce que nous sommes, mais plutôt à ce que nous aimerions être, tous ensemble.
Le Québec a, depuis les années 1960, entrepris de se réapproprier les termes des débats qui le concernent, que ce soit sur le plan économique, social ou politique. Il a donc une longue expérience de développement de politiques originales, de savoir-faire et d’expertise qui lui sont propres. Il a tous les outils en main pour être en mesure de tracer les contours d’une société moralement pluraliste ET autonome des projets politiques pan-canadien.
Il ne s’agit pas d’être naïf. Parce que nous sommes différents culturellement, mais aussi socialement (niveau de richesse, d’éducation, ect…), nous avons des intérêts divergents et conflictuels, parfois irréductibles. Reconnaissons-le comme point de départ de la discussion et travaillons à trouver des avenues permettant de gérer ces différences. C’est dans l’invention de ces avenues que nous pourrons être créatifs et souverains !
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