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10/06/2013

L’affaire Wright-Duffy lève le voile sur la culture organisationnelle dysfonctionnelle du cabinet du premier ministre

Nigel Wright, le chef du cabinet du premier ministre Harper,  n’avait certainement pas prévu démissionner et laisser son patron dans l’embarras quand il a pris la décision de donner 90,000$ au sénateur Mike Duffy pour que celui-ci rembourse les surplus en frais de logement qui lui avaient été versés par les fonds publics. Il devait plutôt avoir imaginé le contraire et estimé avoir pris une décision qui ferait avancer les intérêts politiques du gouvernement. Après tout, le chef de cabinet du premier ministre occupe, de facto, la seconde plus haute fonction au sein du gouvernement parce qu’il est un fin stratège et un oracle de la politique. En tant que dirigeant de la multinationale Onex Corporation et riche avocat d’affaires de Bay Street, Nigel Wright s’y connaît en calcul de risque et en analyse coût-bénéfice dans les décisions d’investissements. Comment un individu reconnu pour de telles compétences est-il arrivé à faire un si mauvais calcul pour lui et son équipe? Comment le cabinet du premier ministre a-t-il pu si mal prévoir le déroulement des événements?  

Les effets négatifs d’un leadership autoritaire

Ce sont parmi les questions les plus intrigantes posées par l’affaire Wright-Duffy. Pour les étudiants de l’administration publique, cette crise lève le voile sur ce qui a toutes les apparences d’une culture organisationnelle dysfonctionnelle au sein du cabinet du premier ministre. Le leadership autoritaire et centralisateur du premier ministre et de son bureau ne favorise pas les débats d’idées et la concurrence des points de vue.  Ce mode de direction encourage plutôt la conformité et renforce les tendances au « groupthink » dans les organisations. Les membres du groupe adhèrent à une vision homogène de la réalité soit par croyances, par contrainte ou par opportunisme, parce que dire au patron ce qu’il veut entendre constitue une stratégie rationnelle d’avancement et de promotion.

Un message politique découpé de la réalité

Personne dans l’entourage de Monsieur Wright  ne semble avoir anticipé les conséquences de sa décision de donner 90,000$ à un sénateur. Le chef de cabinet et sa garde rapprochée n’étaient pourtant pas sans savoir que ce geste allait inévitablement faire l’attention des médias et de l’opposition. Ils n’ont pas dû être surpris lorsque l’affaire est devenue publique. Ils devaient être préparés et avoir un script pour convaincre l’opinion publique et neutraliser les critiques.  C’est ainsi que Monsieur Wright a expliqué qu’il avait épongé la dette du sénateur par intérêt public, parce qu’il ne voulait pas que cette somme soit un fardeau sur le trésor public.  Il a puisé dans ses ressources personnelles pour régler un problème public. Il a agit comme un bon philanthrope et de « façon honorable », comme l’a à maintes fois répétées le premier ministre Harper.

Avec ce message, le cabinet du premier ministre a cru imposer sa définition de l’enjeu à l’agenda politique. Cette stratégie s’est cependant vite révélée inefficace, tant la rationalité de la décision de Nigel Wright est spontanément apparue douteuse aux yeux de tous les observateurs. Partout, la suspicion a été automatique. Le décalage entre l’interprétation des mêmes événements par le cabinet du premier ministre et l’opinion publique n’a jamais semblé si grand auparavant.

L’effet de « groupthink »

Le concept de « pensée de groupe » désigne le fait qu'à l'intérieur du groupe se développent des mécanismes psychologiques qui incitent les individus à rapprocher leurs points de vue les uns des autres, à développer une cohésion qui leur fait prendre des décisions irrationnelles. Ces situations se manifestent en particulier par le fait que l’on ne tient plus compte des réalités extérieures, ce qui donne lieu à des décisions en général inefficaces. La recherche s’est intéressée à l’étude de fiascos, tel le débarquement de la Baie des cochons de 1961 et plus récemment, à la crise financière mondiale et à la « pensée unique » des économistes dans les banques centrales.

Avec la démission de son chef de cabinet, Stephen Harper paie le prix de son style de leadership trop directif et idéologique. Le premier ministre gouverne toujours comme s’il était encore chef de l’opposition, se croyant menacé de tous les côtés par des adversaires libéraux cachés ici et là dans les institutions du gouvernement fédéral. Cette « mentalité d’assiégés » le sert mal à plus long terme. Ceci favorise un esprit de corps qui étouffe toute pensée critique dans son entourage. Le premier ministre doit apprendre à mieux tolérer la dissidence. Sinon, les risques « d’auto-pelure-de-bananisation » deviendront plus grands au fil du temps.

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