15 posts categorized "Denis Saint-Martin"

14/06/2013

Montréal, la « nouvelle » question nationale dans le Québec du 21ème siècle?

La crise de confiance produite par  la Commission Charbonneau et la démission de Gérald Tremblay à la fin de 2012 marquent une rupture dans la trajectoire de développement politique et institutionnel de Montréal. L’équilibre politique à l’hôtel de ville qui a historiquement permis le développement des corporatismes et de la corruption dans l’administration publique montréalaise ne tient plus.

Montréal a longtemps fonctionné sur le plan politique selon un système d’accommodement entre les élites francophones et anglophones, typique des sociétés hétérogènes clivées sur le plan culturel et linguistique. Dans ce type du système, les élites des différentes communautés s’entendent entre elles pour se partager la représentation politique, mais abandonnent en contrepartie l’exécution des décisions aux différents corps de l’administration et aux intérêts sectoriels qui les entourent. Puisque le « diable est dans les détails », ce transfert d’autorité aux bureaucrates a pour objectif d’éviter que les conflits ne remontent au niveau politique et perturbent la cohabitation, parfois fragile, des élites et des communautés divisées qu’elles représentent.

Accommodement des élites et autonomie bureaucratique

Ce type d’arrangement politico-administratif est connu pour favoriser la segmentation sur le plan organisationnel, le travail en ‘silo’ et l’autonomie des structures bureaucratiques. Le pouvoir de coordination au centre du système est généralement faible et peu développé. Or, s’il faut croire Gérald Tremblay, c’est exactement ceci qui aurait fait le plus défaut au bureau du maire : son incapacité à percer les cultures corporatistes de l’administration municipale - et en particulier celle des ingénieurs et de leurs réseaux privés - pour obtenir l’information qui aurait permis la détection des pratiques révélées à la Commission Charbonneau.

« Nul n’est une île », et cette incapacité n’est pas que l’affaire d’un individu. Elle est aussi une affaire d’institution et de politique. Le bureau du maire  ne dispose pas de moyens institutionnels suffisants pour superviser efficacement les services de la ville.

Une ville apolitique

Dans le système d’accommodement des élites qui implose maintenant sous nos yeux, les enjeux concernant Montréal étaient définis comme des enjeux techniques de structures et de gestion, d’efficacité et d’économies d’échelle. Cette conception plus administrative que politique de Montréal rendait possible la cohabitation des élites francophones et anglophones, pourtant divisées sur la question nationale à l’échelon provincial et fédéral. Montréal était de cette façon tenue à l’écart du clivage entre fédéralistes et souverainistes qui structure la vie politique québécoise depuis les années 1960.

Mais aujourd’hui, souverainistes et fédéralistes s’entendent pour mettre la question de Montréal à l’agenda politique du Québec. Les deux camps reconnaissent que c’est à Montréal que se joue l’avenir de la société québécoise et de sa capacité à tirer profit de la mondialisation. La Première ministre Marois disait dans un discours en novembre 2012, que Montréal était le « vaisseau  amiral » dans le développement du Québec. En ceci, elle a pleinement raison. Il reste maintenant à doter Montréal d’un  statut politique qui reflète mieux son pouvoir économique.

La répartition des pouvoirs entre Québec et ses villes et municipalités est une affaire strictement provinciale. Ici, point besoin du Canada pour se faire reconnaître comme société distincte ou comme État indépendant avec 50% plus 1 des voix. Toute l’autorité nécessaire se trouve à l’Assemblée nationale.

Montréal, poumon du Québec sur le monde

Québec doit revoir sa vision jacobine des affaires municipales. Montréal est depuis trop longtemps tenue par le gouvernement du Québec dans un état d’infantilisme politique et d’immaturité administrative qui ne favorise pas une véritable prise de responsabilités et de reddition de comptes par les autorités municipales. La centralisation du pouvoir à Québec nuit à la bonne gouvernance de Montréal et favorise l’opacité bureaucratique derrière laquelle se cache la corruption.

Devant les scandales à l’hôtel de ville, le gouvernement réagit en centralisant davantage les pouvoirs de décision à Québec. Quoique compréhensible, cette  réaction ne constitue pas une solution efficace à plus long terme. C’est plutôt l’inverse qu’il faudrait faire : une décentralisation substantielle de pouvoirs pour renforcer la concurrence politique et ainsi revigorer les mécanismes de contrôle dans les villes et les municipalités.

La crise qui secoue présentement Montréal peut être vue comme un déprimant problème de corruption. Elle peut aussi être vue comme une occasion de déblocage pour repenser les horizons politiques de la société québécoise au 21ème siècle.

Le Québec s’est collectivement enrichi avec la maîtrise de ses ressources hydro-électriques depuis les années 1960. Pourquoi ne pas faire de même maintenant avec Montréal pour qu’elle puisse faire briller avec encore plus de force le Québec dans le monde?

10/06/2013

« La province la plus corrompue au Canada »? C’est plutôt son État-providence qui rend le Québec moins tolérant aux inégalités qui accompagnent la corruption

Les Québécois expriment une indignation justifiée en réaction aux stratagèmes de corruption mis à jour à la commission Charbonneau. Ils devraient cependant prendre  gare de ne pas se laisser aveugler par leurs émotions du moment et de « prendre l’arbre pour la forêt ». Car derrière toutes les discussions déprimantes sur la corruption se cache une bonne nouvelle: l’État de droit est fort et se porte bien au Québec. Des exceptions existent certes, mais l’intégrité et l’impartialité des institutions publiques demeurent globalement robustes.

« Lorsqu’on se compare, on se console », dit l’expression. La recherche internationale sur la « qualité du gouvernement » montre que peu de systèmes politiques ont un État aussi solidement institutionnalisé que celui du Québec. La fonction publique est professionnelle et méritocratique. Dans un contexte politique volatile, les fonctionnaires ont géré avec brio la transition de gouvernement aux dernières élections. Les institutions judiciaires sont indépendantes. La juge Charbonneau dispose d’une marge de manœuvre qui lui serait chaudement disputée par les forces politiques dans plusieurs autres régimes démocratiques.  La déférence des politiciens à l’endroit de la commission a jusqu’à présent été exemplaire. Ceux-ci ont déjà consenti une première prolongation du mandat de la commission et rien n’indique que la porte soit fermée à un autre report si cela était nécessaire. La commission doit sentir qu’elle a le soutien politique pour aller excaver la corruption là où elle se dissimule.

Corruption et inégalités, ou l’œuf et la poule

La corruption est une taxe illégale et cachée, imposée à la majorité par des intérêts économiques et politiques qui agissent comme des monopoles pour limiter l’accès aux ressources de la société. Là où cette taxe est trop lourde, elle ralentit le développement socio-économique et accentue les divisions dans la politique et la société. Dans Violences et ordres sociaux (2009), le prix Nobel Douglas C. North et ses collègues estiment que 85% de la population mondiale vit dans des sociétés où prévalent différentes formes de patronage et de favoritisme. Toutes les sociétés humaines connaissent la corruption; la différence est que certaines en connaissent moins que d’autres. La corruption devient un problème lorsque son étendu limite la croissance.

Corruption et inégalités économiques et politiques sont étroitement corrélées dans les études sur le développement humain. Les sociétés plus égalitaires sont ainsi moins corrompues, alors que celles qui connaissent les plus grandes disparités entre groupes sociaux le sont plus. Voilà pourquoi les pays scandinaves se retrouvent systématiquement à la tête des  sociétés les moins corrompues dans les analyses de Transparency International, et que la Somalie et l’Uzbekistan sont les endroits où les perceptions de détournement des ressources publiques à des fins privées sont les plus fortes sur la planète.

Le plus suédois des modèles sociaux en Amérique 

Sur le plan de l’égalité, le Québec n’est certainement pas la Suède. Mais en Amérique du nord, c’est l’État-providence québécois qui s’en rapproche le plus, à la fois sur le plan de ses politiques  sociales  d’accessibilité universelle, de ses modes de gouvernance et d’interactions entre l’État et la société. Au 21ème siècle, cet État-providence a de plus en plus de peine à jouer son rôle d’accélérateur socio-économique, mais ses  politiques et ses institutions ont inscrites, depuis les années 1960,  une vision égalitaire de la société et de la citoyenneté dans l’identité collective. Aujourd’hui, c’est cette vision qui est heurtée de plein front par la corruption. 

Contrairement à l’opinion du Maclean’s et de plusieurs observateurs au Canada,  le Québec n’est pas la province la plus corrompue au pays. Aucune donnée crédible n’existe à cet effet. L’image folklorique du bonhomme carnaval conforte les préjugés qui voient dans le Québec une culture politique encore pré-moderne, héritée d’un passé catholique et autoritaire. Mais ce stéréotype à saveur coloniale et culturaliste - à maintes fois évoqué dans le scandale des commandites - masque plus qu’il ne révèle. L’état de la recherche laisse plutôt croire que le modèle de développement du Québec lui confère une résilience et des capacités de détection de la corruption plus fortes que celles des sociétés moins égalitaires. Au contraire de ce que prétend une certaine pensée néolibérale, ce modèle n’est pas à l’origine de la corruption. Les valeurs d’égalité et de solidarité qu’il institutionnalise plus fortement dans la société protègent celle-ci des excès de la corruption et de ses effets corrosifs sur la cohésion sociale.

Les conclusions et les recommandations de la commission Charbonneau donneront inévitablement lieu à d’importantes réformes dans les structures de l’administration publique. Mais avant de se lancer dans ces transformations, il faudra faire attention de ne pas « jeter le bébé avec l’eau du bain ». De toutes les mesures pour combattre la corruption, l’égalité des citoyens et l’impartialité des institutions sont de loin les plus efficaces.

 

L’affaire Wright-Duffy lève le voile sur la culture organisationnelle dysfonctionnelle du cabinet du premier ministre

Nigel Wright, le chef du cabinet du premier ministre Harper,  n’avait certainement pas prévu démissionner et laisser son patron dans l’embarras quand il a pris la décision de donner 90,000$ au sénateur Mike Duffy pour que celui-ci rembourse les surplus en frais de logement qui lui avaient été versés par les fonds publics. Il devait plutôt avoir imaginé le contraire et estimé avoir pris une décision qui ferait avancer les intérêts politiques du gouvernement. Après tout, le chef de cabinet du premier ministre occupe, de facto, la seconde plus haute fonction au sein du gouvernement parce qu’il est un fin stratège et un oracle de la politique. En tant que dirigeant de la multinationale Onex Corporation et riche avocat d’affaires de Bay Street, Nigel Wright s’y connaît en calcul de risque et en analyse coût-bénéfice dans les décisions d’investissements. Comment un individu reconnu pour de telles compétences est-il arrivé à faire un si mauvais calcul pour lui et son équipe? Comment le cabinet du premier ministre a-t-il pu si mal prévoir le déroulement des événements?  

Les effets négatifs d’un leadership autoritaire

Ce sont parmi les questions les plus intrigantes posées par l’affaire Wright-Duffy. Pour les étudiants de l’administration publique, cette crise lève le voile sur ce qui a toutes les apparences d’une culture organisationnelle dysfonctionnelle au sein du cabinet du premier ministre. Le leadership autoritaire et centralisateur du premier ministre et de son bureau ne favorise pas les débats d’idées et la concurrence des points de vue.  Ce mode de direction encourage plutôt la conformité et renforce les tendances au « groupthink » dans les organisations. Les membres du groupe adhèrent à une vision homogène de la réalité soit par croyances, par contrainte ou par opportunisme, parce que dire au patron ce qu’il veut entendre constitue une stratégie rationnelle d’avancement et de promotion.

Un message politique découpé de la réalité

Personne dans l’entourage de Monsieur Wright  ne semble avoir anticipé les conséquences de sa décision de donner 90,000$ à un sénateur. Le chef de cabinet et sa garde rapprochée n’étaient pourtant pas sans savoir que ce geste allait inévitablement faire l’attention des médias et de l’opposition. Ils n’ont pas dû être surpris lorsque l’affaire est devenue publique. Ils devaient être préparés et avoir un script pour convaincre l’opinion publique et neutraliser les critiques.  C’est ainsi que Monsieur Wright a expliqué qu’il avait épongé la dette du sénateur par intérêt public, parce qu’il ne voulait pas que cette somme soit un fardeau sur le trésor public.  Il a puisé dans ses ressources personnelles pour régler un problème public. Il a agit comme un bon philanthrope et de « façon honorable », comme l’a à maintes fois répétées le premier ministre Harper.

Avec ce message, le cabinet du premier ministre a cru imposer sa définition de l’enjeu à l’agenda politique. Cette stratégie s’est cependant vite révélée inefficace, tant la rationalité de la décision de Nigel Wright est spontanément apparue douteuse aux yeux de tous les observateurs. Partout, la suspicion a été automatique. Le décalage entre l’interprétation des mêmes événements par le cabinet du premier ministre et l’opinion publique n’a jamais semblé si grand auparavant.

L’effet de « groupthink »

Le concept de « pensée de groupe » désigne le fait qu'à l'intérieur du groupe se développent des mécanismes psychologiques qui incitent les individus à rapprocher leurs points de vue les uns des autres, à développer une cohésion qui leur fait prendre des décisions irrationnelles. Ces situations se manifestent en particulier par le fait que l’on ne tient plus compte des réalités extérieures, ce qui donne lieu à des décisions en général inefficaces. La recherche s’est intéressée à l’étude de fiascos, tel le débarquement de la Baie des cochons de 1961 et plus récemment, à la crise financière mondiale et à la « pensée unique » des économistes dans les banques centrales.

Avec la démission de son chef de cabinet, Stephen Harper paie le prix de son style de leadership trop directif et idéologique. Le premier ministre gouverne toujours comme s’il était encore chef de l’opposition, se croyant menacé de tous les côtés par des adversaires libéraux cachés ici et là dans les institutions du gouvernement fédéral. Cette « mentalité d’assiégés » le sert mal à plus long terme. Ceci favorise un esprit de corps qui étouffe toute pensée critique dans son entourage. Le premier ministre doit apprendre à mieux tolérer la dissidence. Sinon, les risques « d’auto-pelure-de-bananisation » deviendront plus grands au fil du temps.

23/08/2012

Un gouvernement minoritaire péquiste appuyé par les libéraux : l’option la plus intéressante pour le Québec?

Avec la fin des débats des chefs à la télévision, les Québécois ont une idée un peu plus claire des choix politiques à faire le 4 septembre prochain. Aucun de ces choix ne les attire vraiment. Il n’y a pas d’équilibre entre l’offre politique et la demande de la société et de ses citoyens. Les partis politiques, même ceux qui sont apparence plus « nouveaux »,  sont tous figés dans des positions politiques du passé qui ne correspondent plus aux conditions sociales du présent.

Ce qui se passe à droite

La Coalition pour l’avenir du Québec se dit contre les « vieux partis » mais son idéologie est en réalité beaucoup plus vieille que les partis libéral et québécois. Après tout, ce ne serait pas la première fois dans l’histoire de l’Amérique du nord qu’un homme d’affaire utilise sa richesse pour se propulser en politique, comme le montre présentement l’exemple de Mitt Romney aux États-Unis. Monsieur Legault n’est pas le premier à vouloir rendre le gouvernement plus efficace et rationnel en y intégrant les modes de fonctionnement du monde des affaires. L’histoire nous enseigne que ce type de discours est toujours en vogue en périodes de crise politique et économique.

Une gauche qui se cherche

À gauche, Madame David incarne avec grâce l’un des plus beaux et bons côtés de la société québécoise : son sens de l’égalité et de la solidarité. Son élection le 4 septembre prochain assainirait le discours politique à l’Assemblée nationale beaucoup plus que n’importe quelle nouvelle loi ou bureaucratie concernant l’éthique. Mais la formation partisane de Madame David semble parfois plus s’inspirer du vocabulaire de libération nationale populiste d’Hugo Chavez que de la social-démocratie au pouvoir en Europe. La mondialisation économique et le pluralisme culturel grandissant des sociétés imposent des limites au dirigisme d’État. L’égalité au 21ème siècle ne peut plus se penser sous la forme d’une taille unique pour tous. Elle doit plutôt être davantage taillée sur mesure, en fonction des identités et des appartenances multiples des citoyens.

Pour une coalition du centre

Reste donc les partis québécois et libéral. Comparés à la CAQ et à Québec solidaire, le PQ et le PLQ se situent plus au centre du spectre politique. Leur agenda sur le plan économique est globalement le même. Raymond Bachand est, après tout, un ancien péquiste. Il favorise une approche stratégique de l’État. Sur l’enjeu du développement économique, le PQ et le PLQ sont comme « bonnets blancs et blancs bonnets ».

Un autre élément en commun entre le PQ et le PLQ est qu’ils sont issus de la même équipe de réformateurs centristes assemblée par Jean Lesage dans les années soixante. Ceux comme René Lévesque qui sont devenus péquistes en 1968 étaient auparavant des libéraux. Le temps de la Révolution tranquille - avant qu’il ne se divise en fraction fédéraliste et souverainiste - le centre politique québécois a montré qu’il pouvait faire de grandes choses. Ce centre n’a pas tenu ensemble très longtemps, mais ceci importe peu car il a mis en place des politiques et des institutions qui ont subséquemment structuré et favorisé le développement de la société québécoise.

La nécessaire alternance au pouvoir

Les sondages montrent le PQ en avance mais une majorité ne semble pas s’être encore cristallisée dans l’opinion publique. Un PQ qui obtiendrait une pluralité de sièges sans majorité ne pourrait pas déclencher de référendum. Il y aurait une diminution de l’incertitude politique. Madame Marois serait la première soulagée.

Le scénario d’un PQ minoritaire appuyé par la CAQ est peu probable. Marois et Legault sont des rivaux de toujours. Une alliance entre le PQ et la CAQ n’est pas non plus préférable pour la société. Elle risquerait de faire ressortir les plus mauvais côtés de la politique identitaire du nationalisme québécois. Le PQ et la CAQ se concurrenceraient  pour savoir qui est le « plus vrai » québécois des deux. Les débats sur le crucifix occuperaient toute la place.

Un scénario où le PQ a plus de sièges implique que Jean Charest a perdu son pari. Sa défaite serait la bienvenue pour la démocratie. Monsieur Charest a fait trois mandats et été premier ministre pendant presque 10 ans. Un coup de balai s’impose maintenant. L’alternance est la norme en régime parlementaire de bipartisme.

Une fois Monsieur Charest parti, le leadership du PLQ serait à prendre. Un nouveau (ou une nouvelle) chef libéral pourrait vouloir collaborer avec le PQ pour gouverner le Québec au centre de l’échiqiuer politique. Une telle coalition pourrait entreprendre des réformes attendues depuis longtemps, tel un mode de scrutin proportionnel, plus proche des pratiques corporatistes et consensuelles de la gouvernance québécoise.

« Deux têtes valent mieux qu’une »

En temps de crise cet adage peut être utile. Face aux soubresauts de l’économie mondiale, l’intelligence et l’expérience cumulées du PQ et du PLQ pourraient donner un « gouvernement du tonnerre », semblable à celui d’où les péquistes et les libéraux d’aujourd’hui tirent leurs origines.

Le chef de la CAQ se prend parfois pour Jean Lesage. Monsieur Legault devrait pourtant savoir que la Révolution tranquille s’est faite au centre, pas à droite.

La CAQ dit qu’il faut laisser de côté l’opposition entre souverainistes et fédéralistes pour s’attaquer « aux vraies affaires ». Mais les projets politiques et les « vraies affaires » d’une société ne sont jamais séparables l’un de l’autre. Ce sont les premiers qui définissent les secondes. Il est impossible de réformer une société en profondeur sans lui donner de vision politique pour la mobiliser et lui donner le goût de changer.

Une opportunité à saisir

Les institutions et les structures ont la vie dure.  Même s’ils sont le reflet de conditions sociales du passé qui n’existent plus aujourd’hui, les partis politiques ne changent pas facilement.  Ils perdurent plutôt dans leurs habitudes et leurs routines. C’est pourquoi le scénario décrit ci-haut ne verra probablement jamais le jour. Mais il y aura eu un moment dans l’histoire, dans l’évolution des structures et des institutions, où ceci aurait pu être possible. Il y a une fenêtre d’opportunité que les acteurs peuvent décider de saisir ou non. Un moment où les acteurs ont le pouvoir de refaire les structures et les institutions.  

Le scénario d’une sorte de gouvernement d’union nationale - comme les Allemands ont souvent connu – n’est pas irréaliste dans les conditions actuelles. Une coalition PQ-PLQ serait l’équivalent québécois du gouvernement de technocrates au pouvoir à Rome en ce moment. Marois, Bachand et leur entourage sont presque tous issus de l’État du Québec. Ils sont la variante québécoise du phénomène des Énarques en France.  Ils font parti d’une élite issue du sommet de l’État, habituée à franchir la frontière entre la politique et la haute administration publique. Quand cette élite de l’État est capturée par les intérêts économiques, elle peut devenir parasitique pour sa société. Mais au service de l’intérêt général, elle est aussi capable de donner à la société un gouvernement d’intelligence pour la rendre plus résiliente et l’aider à tirer son « épingle du jeu » de la mondialisation.

19/04/2012

Justin Trudeau - Des propos indignes

Lettre au Devoir

Les propos de Christian Rioux au sujet de Justin Trudeau dans sa chronique du 24 février sont hargneux, mesquins et indignes d’un journal comme Le Devoir. En s’inventant un Justin Trudeau séparatiste, Rioux en profite pour continuer à verser son fiel sur le multiculturalisme. En traitant Trudeau-fils comme un  personnage de « politique-fiction », Rioux dit de lui qu’il est « sans racine », n’a que des droits abstraits, « pas d’histoire, de culture ou de langue ». Il parle un « franglais inaudible ». Il n’est qu’une « identité cosmopolite désincarnée » qui n’a « plus la moindre allégeance nationale ». Ces termes sont socialement durs, comme s’ils étaient tirés presque mot à mot d’un programme du Front national. Les mêmes mots ont déjà été utilisés dans le passé pour faire mal à un peuple que l’on qualifiait aussi d’errant et sans racine. Monsieur Rioux est un homme intelligent. Il faut comprendre qu’au 21ème siècle, le libéralisme porte désormais le nom de multiculturalisme. La recherche de la liberté et de la justice est toujours au cœur du projet. C’est le contexte qui a changé. C’est aux fondements du libéralisme que s’attaquent ceux qui s’inventent des multiculturalismes déshumanisés. Voilà où se situe de nos jours la véritable ligne de fracture politique.

03/01/2012

Bilan de fin d’année politique : Le NPD, le Québec et le nouveau combat pour la citoyenneté

(texte paru dans Le Devoir, le 22 décembre 2011)

En cette fin d’année, à l’heure des bilans politiques, il convient de revenir sur le sens à donner aux élections fédérales de mai dernier. Qu’ont voulu dire les Québécois en mettant la plupart de leurs œufs dans le panier du NPD? En rejetant le Bloc et en appuyant majoritairement le NPD, les Québécois ont pris acte du cul-de-sac dans lequel le Bloc plaçait ultimement le Québec en politique fédérale. Le Bloc peut bien promouvoir la souveraineté à Ottawa jusqu’à ce que mort s’en suive, mais les Québécois savent bien que cet enjeu se joue d’abord et avant tout  à  l’Assemblée nationale et non à la Chambre des communes. Ce sont les citoyens du Québec qui doivent être convaincus de voter pour la souveraineté, non ceux du reste du Canada.

En rejetant le Bloc et en votant pour le NPD, les Québécois ont voulu se réengager avec la politique fédérale canadienne. Ils ont voulu défaire Stephen Harper et aussi, se donner un gouvernement à Ottawa qui aurait pu être formé d’une coalition au sein de laquelle le NPD de Jack Layton aurait été un acteur majeur. Dans ce sens, le vote de mai 2011 n’est rien de moins que la conséquence directe du projet de coalition avorté au moment de la prorogation du parlement en 2008. La grande différence est qu’en 2011 les Québécois ont voulu mettre aux postes de commande les néo-démocrates plutôt que les libéraux, en qui ils n’ont plus confiance depuis le scandale des commandites.

Les Conservateurs ou la coalition

Stephen Harper n’a martelé qu’un seul thème durant toute la campagne électorale du printemps dernier. Il n’y a qu’un choix disait-il alors aux électeurs, entre les Conservateurs et la coalition « broche à foin ». Or, c’est exactement entre ces deux options que les Québécois ont fait leur choix. En 2008, c’est au Québec que le projet de coalition entre libéraux, néo-démocrates et bloquistes recevait le soutien populaire le plus fort et le plus enthousiaste. On se souviendra de la contre-attaque vicieuse des conservateurs, qui ont agressivement dénoncé le soutien des « séparatistes » pour délégitimer le projet de coalition et dresser l’opinion publique du Canada contre celle du Québec.

Sachant le Québec hors de leur portée, les conservateurs auraient probablement préféré une autre victoire bloquiste aux dernières élections, ce qui leur aurait permis de mobiliser encore plus fortement le patriotisme et le nationalisme canadian contre le Québec. Paradoxalement, c’est lorsque le Québec se réengage dans la politique fédérale que les conservateurs le combatte le plus férocement. Et à l’heure actuelle, ce combat est celui qui correspond, dans les faits, à la division institutionnelle entre l’opposition néo-démocrate issue du Québec et le gouvernement majoritaire conservateur élu par le reste du Canada.

Autrement dit, avec le NPD, le Québec s’est donné  un rôle d’opposition institutionnelle à Ottawa. Le fédéralisme ne s’exprime plus seulement que par le jeu de contrepoids entre le fédéral et le provincial, mais aussi, dorénavant, par le rapport de force entre les pouvoirs exécutif et législatif au sein du parlement canadien. Ceci ressemble à une forme de « fédéralisation » de l’équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif à Ottawa. Cet aspect du jeu politique fédéral n’est pas si nouveau qu’il en a l’air. Il n’est que la reproduction d’une dynamique qui a été institutionnalisée par le Bloc Québécois.  

L’opposition institutionnelle à Ottawa

Le Bloc avait habitué les Québécois à voir une majorité de leurs députés à Ottawa dans un rôle d’opposition au gouvernement. Il avait habitué les Québécois à voir leurs députés dans une fonction de contrepoids au pouvoir de l’exécutif au sein du parlement fédéral. Sans le vouloir, le Bloc est devenu un rouage essentiel de l’imputabilité au sein du système politique fédéral. Avec le temps, les institutions parlementaires ont graduellement « canadianisé » le Bloc dans son rôle de chien de garde de la démocratie  à la Chambre des communes. Coincé entre son désir de promouvoir l’indépendance du Québec et de participer à la gouvernance canadienne, le Bloc s’est finalement écroulé sous le poids de ses propres contradictions.

C’est le NPD qui hérite maintenant de ces contradictions. De tous les partis fédéralistes canadiens, le NPD a toujours été le plus ouvert aux revendications identitaires et autonomistes du Québec. Comme le Bloc, le NPD a toujours été un parti d’opposition à Ottawa. Un parti jouissant d’une forte réputation d’intégrité qui donne bonne conscience à ses électeurs.

Mais depuis mai dernier le NPD n’est plus un tiers parti. Le Québec a propulsé le NPD dans le rôle de l’opposition officielle au gouvernement fédéral. C’est à partir du Québec que s’organise la résistance politique au régime proto-autoritaire de Stephen Harper. Le Québec n’est pas en train de quitter le Canada comme les conservateurs voudraient peut-être le faire croire. Il est au contraire en train de le défendre, ou du moins d’en défendre une certaine conception. Cette conception, c’est le NPD qui doit maintenant la développer. Depuis la Révolution tranquille, la stratégie des fédéralistes a toujours été la même : promettre des réformes constitutionnelles qui reconnaîtraient au Québec un statut particulier au Canada. C’est exactement ce même réflexe que Jack Layton a eu lors des dernières élections, lorsqu’il s’était vaguement engagé à ré-ouvrir les discussions constitutionnelles. 

Mais les mêmes causes reproduisent toujours les mêmes effets. Libéraux et conservateurs ont à maintes fois dans le passé suscité les espoirs constitutionnels des Québécois pour mieux les décevoir ensuite. Si le NPD suit la même voie, il risque de connaître le même sort que ces partis au Québec.

Le Québec et le renforcement de la démocratie canadienne

La « fédéralisation » des rapports entre l’exécutif et le législatif à Ottawa offre peut-être au NPD une nouvelle voie à explorer. Après tout, un gouvernement fédéral qui écrase son parlement se donne les moyens de se comporter de la même façon à l’endroit des provinces. Or, on le sait à Ottawa, le pouvoir au sein du gouvernement est très fortement centralisé. Le système tout entier est dominé par le bureau du premier ministre. Comme le juge Gomery l’avait noté dans son rapport, la concentration des pouvoirs au sein du bureau du premier ministre déstabilise l’ensemble du système de gouvernance, car elle engendre de trop forts déséquilibres qui rendent le gouvernement fédéral non-imputable.  

Avec le NPD, le Québec se donne les moyens d’améliorer la démocratie au Canada. Ceci n’a peut-être pas le symbolisme des grandes promesses de réforme constitutionnelle du passé. Mais le nouveau chantier de réforme qui s’ouvre n’en est pas moins important, car au-delà des rapports entre gouvernements fédéral et provincial, il concerne plus fondamentalement le citoyen et ses droits devant l’État.

À l’heure de la mondialisation, les Québécois acquièrent de plus en plus une forme de citoyenneté globale. C’est pour cette raison, qu’au-delà des clivages entre fédéralistes et souverainistes, les Québécois se sentent plus fortement interpellés par la politique étrangère du gouvernement canadien. Nous sommes tous, potentiellement, des Omar Khard. Le combat en est un pour la citoyenneté.

 

27/03/2011

Mettre l’option de la coalition au centre de la campagne électorale

(texte paru le 25 mars 2011dans La Presse)

En campagne électorale, ce dont les partis politiques ne parlent pas est aussi important que ce dont ils parlent ouvertement. Écarter un enjeu de l’agenda politique, refuser consciemment de traiter d’un problème que personne ne veut voir parce qu’il est trop complexe et risqué sur le plan électoral, est en soi une forme de pouvoir auquel ont souvent recours les partis politiques.

S’il y a un sujet dont on ne discutera pas au cours de la campagne électorale qui s’annonce, c’est bien celui de l’unité nationale. Pourtant, cet enjeu est au cœur du dysfonctionnement actuel du système politique canadien. N’est-ce pas la raison pour laquelle nous allons voter pour une quatrième fois en sept ans?

Une coalition illégitime?

Qu’on ne s’y trompe pas : la stratégie électorale de Harper sera de définir le choix entre le soutien aux conservateurs contre une coalition libérale, néo-démocrate et bloquiste. Le PC ne fera que renforcer son agressive campagne de dé-légitimation à l’endroit du projet de coalition mis sur la table en 2008. Les conservateurs savent bien que c’est surtout la présence des « séparatistes » du BQ qui rend le projet de coalition peu légitime dans l’opinion publique canadienne. Comme la majorité des sièges du Québec au parlement fédéral vont au Bloc, cette stratégie a pour effet d’opposer le Québec au reste du Canada. Mais par-dessus-tout, elle a pour effet de travestir le sens du vote de plusieurs Québécois à  l’endroit du Bloc.

La société distincte par d’autre moyen

Le Bloc contrôle près du deux tiers des sièges du Québec à la Chambre des communes, alors que les sondages indiquent que seule une minorité de Québécois souhaitent un référendum sur la souveraineté. La force du Bloc à Ottawa ne vient pas que du soutien des souverainistes convaincus. Le Bloc est la réponse du Québec à l’impasse constitutionnelle qui perdure depuis près de 20 ans.  Il représente la « société distincte » par d’autre moyen. Ce que les Québécois n’ont pu obtenir via la constitution, trop rigide et remplie de points de blocage,  ils l’ont obtenu par la reconfiguration du système de partis fédéral, plus flexible et plus sensible au pouls de l’opinion publique.

Ce ne sont évidemment pas Messieurs Harper et Duceppe qui vont admettre que le Bloc reçoit aussi le soutien de Québécois qui souhaitent plus le fédéralisme renouvelé que l’indépendance du Québec. Ils auraient trop à perdre. Harper est comme le vent qui souffle sur le feu du Bloc. Plus les conservateurs diaboliseront l’idée de coalition en décrivant le Bloc comme un parti illégitime qui n’est pas à sa place à Ottawa, plus ils risquent de le renforcer en insultant l’intelligence des Québécois qui voient dans le BQ une autre façon de faire entendre leurs voix dans la politique fédérale. Le Bloc permet aux Québécois de rendre le gouvernement fédéral plus imputable au parlement et renforce ainsi la démocratie canadienne.

Le Bloc n’est pas que le parti « séparatiste » dépeint par Messieurs Duceppe et Harper. Le Bloc donne aux Québécois la reconnaissance au sein des institutions canadiennes qu’ils ont été incapables d’obtenir par la réforme constitutionnelle. Sa présence à Ottawa fait peut-être plus pour légitimer le fédéralisme canadien au Québec que l’on ne veut bien le reconnaître.  Ceci est une possibilité dont il est grand temps de prendre acte.

Pourquoi l’opinion publique tolère-t-elle que le gouvernement Harper contourne impunément les règles de la démocratie parlementaire?

Dans son jugement trouvant le gouvernement coupable d’avoir brimé les privilèges parlementaires, le président de la Chambre aurait, selon Michael Ignatieff : « dit aux Canadiens réveillez-vous! ». Il est en effet étonnant que l’opinion publique ne semble pas accorder plus d’importance aux institutions qui gouvernent pourtant les règles du jeu de notre démocratie parlementaire à Ottawa.

Le parlement : un lieu de « politicaillerie »?

Lorsque les Canadiens regardent ce qui se passe au parlement, ils ne semblent y voir que de la « politicaillerie » parce qu’ils sont habitués depuis 40 ans de voir à Ottawa un gouvernement fort qui garde le parlement silencieux et docile parce qu’il le domine avec sa majorité partisane. Une majorité tenue ensemble par un appareil partisan et bureaucratique centralisé autour du leader et qui fait taire les dissensions par le patronage et une rigide discipline de partis. C’est ainsi que le Canada a été gouverné depuis au moins les années 1970.

Même si le fédéralisme créé de l’interdépendance et donne souvent lieu à des relations intergouvernementales instables, sans point d’équilibre, chaque niveau de gouvernement est néanmoins libre de gouverner à sa guise dans ses propres sphères de juridiction. Ottawa est peut être plus ou moins faible vis-à-vis à des provinces, mais dans ses propres domaines de compétence, il gouverne comme un État unitaire avec une administration publique puissante et presqu’aussi fortement centralisée que celle de la France.

Un nouvel équilibre du pouvoir

On le sait, depuis 50 ans, la tendance à Ottawa est à la centralisation du pouvoir au sein du bureau du premier ministre et à l’affaiblissement concomitant du rôle de contrepoids du parlement. Mais justement, depuis 2004, l’absence de majorité partisane libère en quelque sorte le parlement de la mainmise du gouvernement et accroît sa force dans la surveillance de l’exécutif. Le parlement reprend ainsi son rôle de contrepoids et ceci donne évidemment lieu à plus de débats et de conflits politiques. Ceci produit davantage de « bruits politiques » en provenance d’Ottawa et ce sont ces bruits que les Canadiens interprètent comme de la « politicaillerie ». Les Canadiens continuent de comprendre leur système politique en termes de gouvernement majoritaire, même lorsque ce dernier est minoritaire. Il y une sorte de fossé entre le nouveau mode de fonctionnement des institutions et la compréhension traditionnelle qu’en ont les Canadiens. Il y a un décalage entre le théorique et l’empirique.  Le schème cognitif à partir duquel les Canadiens interprètent le fonctionnement de leur système politique au niveau fédéral ne change pas, il reste stable, alors que la réalité qu’il prétend décrire n’est plus la même.

Une dissonance cognitive entre théorie et pratique?

Les Conservateurs profitent ainsi du fait qu’une majorité de Canadiens ne s’ajustent pas à ce changement et continuent de comprendre leur système en termes de gouvernement majoritaire. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’une majorité d’entre eux soit prêt à voter pour Harper. Les Canadiens ne s’ajustent tout simplement pas au fait que la balance du pouvoir soit maintenant passée du côté du parlement. C’est ce qu’a compris le gouvernement Harper et c’est ce qui  fait toute sa force. C’est ce qui lui permet d’outrepasser les règles du jeu parlementaire sans qu’il ne soit puni par l’opinion publique. Comme dans un geste de réflexe, celle-ci tend à se ranger machinalement du côté du gouvernement quand il prétend que ces règles ne sont que des « enfantillages » parlementaires sans lien véritable avec la démocratie qui elle, ne se jouerait qu’au moment des élections.

 Contre la « fédéralisation » du gouvernement central

Le fédéralisme contribue fortement au maintien du modèle de gouvernement majoritaire dans l’imaginaire public. En effet, les Canadiens veulent bien que le pouvoir à Ottawa soit contrebalancé par le pouvoir des provinces dans les relations intergouvernementales car le « bruit » et les frictions fédérales-provinciales sont propres à la dynamique fédérale. Mais ils ne veulent pas que le gouvernement fédéral subisse le même sort dans ses propres sphères de compétence face à un parlement trop fort qui aurait une capacité de blocage comparable à celle des provinces. Ce sentiment est renforcé par la présence du BQ au parlement. La capacité du Bloc à faire contrepoids au gouvernement fédéral dans la gestion de ses propres affaires au parlement ressemble trop à l’image que plusieurs se font au Canada du rôle « d’empêcheur de tourner en rond » du Québec dans le domaine des relations intergouvernementales. On veut bien d’un système fédéral, mais on ne veut pas d’un gouvernement central qui serait lui-même « fédéralisé » de l’intérieur par des groupes politiques de plus en plus divisés en factions régionales et provinciales qui se disputent la balance du pouvoir au parlement. 

Les théories ou les cadres normatifs avec lesquels les individus comprennent et interprètent le monde dans lequel ils vivent sont toujours plus lents à changer que la réalité empirique qu’ils prétendent décrire et expliquer. C’est pour cette raison que l’on est généralement incapable de voir venir les changements et de s’y adapter rapidement.

Après sept années de gouvernement minoritaire, il est grand temps que l’opinion publique canadienne s’ajuste à la nouvelle réalité d’un parlement plus autonome et moins fortement dominé par le gouvernement. Le parlement est d’abord et avant tout un lieu de démocratie, et non seulement de « politicaillerie » comme les Conservateurs veulent nous le faire croire.

11/02/2011

Les élus devraient-ils vendre à des intérêts privés leur expérience du service public pour s’enrichir lorsqu’ils quittent la politique?

Parmi les nombreuses questions que soulèvent la nomination de l’ancien Premier ministre Bouchard à la tête de l’Association pétrolière et gazière du Québec, une semble plus pressante que les autres : celle de la perception d’un possible conflit d’intérêt. Chaque fois qu’un homme ou une femme politique ayant occupé de hautes fonctions publiques quitte le gouvernement pour ensuite se joindre à des intérêts privés au sein d’un grand cabinet d’avocats, de consultants ou de lobbyistes, ceci suscite invariablement un certain malaise collectif sur le plan éthique.

On se demande toujours si les anciens politiciens s’enrichissent en mettant à la disposition d’intérêts privés l’expérience et les réseaux acquis dans les postes qu’ils ont occupés dans le service public. De nos jours, il n’est pas rare que des politiciens deviennent millionnaires après être passés au gouvernement alors qu’en début de carrière ils étaient souvent d’origine plus modeste. C’est comme si la politique leur servait d’ascenseur sur le plan socio-économique. On s’engage en politique non plus seulement pour servir et donner aux autres, mais aussi pour prendre et tirer profit pour soi-même.

Les entreprises privées s’achètent de plus en plus les services des anciens politiciens dans les firmes de lobbyistes. C’est ce qu’on appelle le phénomène de la « porte tournante », pour illustrer la relation de va-et-vient et de mouvement de personnel entre l’industrie et le monde politique. Aux États-Unis, où ce phénomène est très développé, différentes règles interdisent aux politiciens élus au Congrès de devenir lobbyiste lorsqu’ils quittent leur carrière politique. Ils doivent passer à travers une période de « purgatoire » d’une durée variable. L’objectif est de limiter les conflits d’intérêt. Lorsque des entreprises peuvent s’acheter  les services d’un politicien qui dispose de réseaux de pouvoir toujours actifs, ceci risque de corrompre la dynamique de la concurrence devant réguler le fonctionnement du marché. Il y a un risque de politiser l’économie. Les entreprises obtiennent-elles des contrats parce qu’elles sont les meilleures ou parce qu’elles ont des contacts politiques?  C’est à ce critère que l’on reconnaît généralement la corruption.

Combien vaut l’expérience politique?

Une étude de la London School of Economics[1] montre qu’aux États-Unis, la valeur sur le marché du lobbying de celui ou celle qui a été conseiller politique d’un sénateur ou d’un représentant influent et toujours en poste, se situe autour de $200,000 par année d’expérience politique. Plus le poste occupé au gouvernement en a été un d’influence, plus les revenus comme lobbyiste sont grands.

À la lumière de ces chiffres, combien vaudrait, par exemple, un Jean Charest dont on dit d’ailleurs qu’il se dirige vers la voie de sortie politique? Monsieur Charest fait de la politique depuis 25 ans. Il a de l’expérience à deux niveaux de gouvernement et à l’international. Il a été chef de deux partis politiques. Ses réseaux de contacts sont nombreux, étendus et puissants. Sa valeur marchande dans le monde du lobbying est énorme.

C’est pourquoi lorsque Monsieur Charest quittera la politique, tous les yeux seront braqués sur lui. Plusieurs Québécois supposent qu’il deviendra forcément conseiller stratégique pour une grande entreprise, puisqu’on le soupçonne déjà d’être bras-dessus, bras-dessous avec l’industrie.

Mais Monsieur Charest pourrait nous surprendre. Après presque dix ans au pouvoir, il réfléchit maintenant à son héritage, à l’image qu’il laissera pour l’histoire. Plutôt que d’aller vendre au secteur privé son expérience de premier ministre et faire des millions comme lobbyiste, il pourrait continuer dans le service public. Là, il n’y aurait pas de conflit d’intérêt, apparent ou véritable.

Un nouvel ambassadeur à l’Union européenne?

Le Canada négocie présentement un traité de libre-échange avec l’Union européenne (EU). L’Europe est le deuxième plus important partenaire commercial et stratégique du Canada. Le Premier ministre Harper pourrait montrer que le Canada accorde dorénavant à l’Europe toute l’importance que lui confère son statut de super puissance économique en nommant pour l’UE un ambassadeur politique comme le Canada le fait déjà pour Washington. Ceci aurait aussi pour effet de mieux équilibrer des deux côtés de l’Atlantique les relations du Canada en politique internationale.

Le Premier ministre Harper devrait nommer Jean Charest ambassadeur du Canada pour l’UE lorsque celui-ci quittera la politique active. Monsieur Charest croit en l’Europe. Si le Canada signe un accord commercial avec l’UE, ce sera en bonne partie grâce à lui. Pour un fédéraliste comme Monsieur Charest, l’Europe offre aussi une expérience inspirante pour l’avenir des relations Canada/Québec. Dans un tel poste, il évitera les apparences de conflit d’intérêt et fera mentir les cyniques qui voient dans l’engagement politique une activité plus vénale que noble.



[1] Vidal, J. B., Draca M. et C. Fons-Rosen (2010). Revolving Door Lobbyists. Centre for Economic Performance. London School of Economics and Political Science. CEP Discussion Paper No.993.

La motion contre le port du kirpan à l’Assemblé nationale : une hypocrisie politique

 

(texte paru le 11 février 2010 dans Le Devoir)

Le Parti québécois a traditionnellement été un parti social-démocrate de centre gauche. Un  parti censé défendre les plus faibles contre les plus forts. Alors, quand le PQ se prend pour l’ADQ et joue la carte du populisme pour se faire du capital politique sur le dos des minorités et de leurs libertés religieuses, on soupçonne qu’il y a « anguille sous roche ». Quand la députée Louise Beaudoin invoque la neutralité de l’État pour interdire le kirpan à l’Assemblée nationale sous le regard bienveillant du Jésus crucifié qui surplombe le salon bleu, devant un cas si flagrant de « deux poids, deux mesures », comment ne pas conclure à la vile stratégie partisane plutôt qu’au grand débat de principes? Quand on nous dit que le kirpan est interdit à l’ONU, alors que son port est permis dans nos écoles, devons-nous croire que notre société accorde soudainement plus d’importance à la sécurité de ses politiciens qu’à celle de ses enfants? Les incohérences et l’absence de logique sont si flagrantes dans toute cette affaire qu’il est difficile de présumer de la bonne foi de ses protagonistes.

Cela déplaît peut-être à Madame Beaudoin et à ceux qui partagent son opinion, mais le Québec n’est pas la France. La laïcité stricte des institutions, un principe importé de France, n’a absolument rien à voir avec l’expérience historique du Québec en terre d’Amérique. Comment faire appel à ce principe dans une enceinte où on ne le respecte même pas? Les députés français accepteraient-il de débattre dans l’hémicycle sous le regard du « petit Jésus »?

Souverainisme et droit des minorités

Le Québec est une société tolérante et pluraliste où on ne retrouve pas de mouvement xénophobe comme en Europe ou aux États-Unis. Aucune autre société en Amérique ou en Europe n’a réussi à avoir un débat aussi ouvert et démocratique que celui qui a eu lieu au Québec il y a deux ans avec la Commission Bouchard-Taylor. Ce type d’enjeux, complexes sur le plan éthique et politique, auraient déchiré la plupart des autres sociétés, qui préfèrent plutôt balayer le problème sous le tapis, comme le Canada le fait en feignant que tout va bien dans le monde merveilleux du multiculturalisme. Au Québec, le débat sur les accommodements raisonnables a bien sûr été difficile et des choses laides ont été dites. Mais ceci n’a pas divisé notre société contre elle-même, ce qui est en soi une preuve de son ouverture et de sa maturité démocratique.

Le Québec est une société plus sensible que les autres aux droits des minorités. En fait, le Québec est probablement un leader mondial dans le domaine des accommodements raisonnables. Pourquoi? Parce qu’au Québec environ la moitié de nos concitoyens rêvent d’un jour créer un  pays indépendant. Depuis René Lévesque, une partie de l’élite éclairée du mouvement souverainiste, a compris qu’en matière de droits des minorités, le Québec devait « laver plus blanc que blanc ». Dans cette optique, et pour justifier l’indépendance nationale et l’éclatement du Canada, le Québec doit s’astreindre à des exigences supérieures dans la façon dont il traite ses minorités.

Le rôle de la politique internationale

La souveraineté des États est un principe fondamental des relations internationales. Les États qui forment la communauté internationale n’acceptent pas facilement que la souveraineté d’un des leurs soit attaquée de l’extérieur par un autre État ou brisée de l’intérieur par des mouvements indépendantistes. Dans ce dernier cas, la communauté internationale tend à appliquer un principe de proportionnalité : plus le groupe qui revendique son indépendance nationale a été victime de violence et d’abus de la part de l’État dont il veut se séparer, plus la communauté internationale est susceptible de lui apporter rapidement son soutien et sa reconnaissance. Mais la règle inverse est aussi valide : plus l’État dont un groupe cherche à faire sécession est pacifique, démocratique, et développé sur le plan économique et social, plus les exigences pour la reconnaissance internationale sont élevées.

C’est sur la base de ce principe de politique internationale que les souverainistes éclairés et cosmopolites ont généralement eu tendance à imposer à leur mouvement et à leur projet d’indépendance des objectifs plus ambitieux que la moyenne en ce qui a trait aux droits des minorités. C’est pour cette raison que Lévesque a souvent combattu, contre sa propre famille politique, les démons du nationalisme ethnique. Ceux-ci sont certes plus mobilisateurs d’un point de vue stratégique, mais ils sont aussi plus abjects d’un point de vue moral.

C’est aussi pourquoi, certains fédéralistes dont je suis, ont  toujours vu le mouvement souverainiste comme une force positive dans le développement du Québec. La présence au sein de notre société d’un projet de souveraineté devant se justifier dans le cadre d’une démocratie avancée comme le Canada, a eu plusieurs effets bénéfiques pour le Québec, mais aussi pour le Canada. Le Canada ne serait pas devenu l’État-providence qu’il est sans le besoin constant de renforcer sa légitimité face aux pressions venues du Québec.

Le multiculturalisme québécois, la gauche et la droite

Tout ceci implique un fait historique peu discuté mais incontournable : au Québec c’est le mouvement souverainiste qui est en parti la « cause » d’une forme de politique multiculturelle axée sur la reconnaissance des identités minoritaires et les accommodements nécessaires à leur inclusion dans l’espace public. Autrement dit, le multiculturalisme au Québec n’est pas que l’importation d’un « virus » en provenance d’un corps étranger qui serait celui du Canada « anglais ». La société québécoise, et certainement sa métropole, étaient sociologiquement multiculturelles bien avant les politiques de Trudeau. Ce n’est pas une invention imposée par les fédéraliste pour damer le pion aux souverainistes.

D’ailleurs, le clivage entre fédéralistes et souverainistes est très peu utile pour éclairer de façon intelligente le débat sur l’intégration des minorités au Québec. Il masque plus qu’il ne révèle. Le clivage qui compte est d’abord celui entre la gauche et la droite. La députée Beaudoin peut bien justifier son geste en évoquant les récentes sorties d’Angela Merkel et de David Cameron. On lui rappellera qu’il s’agit de deux leaders de droite qui cherchent à cajoler les mouvements anti-immigrants au sein de leur formation politique. Drôle d’association lorsqu’on estime être de gauche!

En bout de ligne, l’Assemblée nationale a préféré voter pour un  principe abstrait, celui d’une laïcité stricte qu’elle ne respecte même pas, et au nom duquel elle ferme ses portes à des citoyens qui ne demandent qu’à être inclus dans les débats démocratiques de leur société. Au Québec, c’est la majorité francophone qui dispose du pouvoir dans les institutions politiques. C’est donc à elle qu’incombe la responsabilité de faire de la place à ceux et celles qui n’ont pas cet avantage.

 

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