Montréal, la « nouvelle » question nationale dans le Québec du 21ème siècle?
La crise de confiance produite par la Commission Charbonneau et la démission de Gérald Tremblay à la fin de 2012 marquent une rupture dans la trajectoire de développement politique et institutionnel de Montréal. L’équilibre politique à l’hôtel de ville qui a historiquement permis le développement des corporatismes et de la corruption dans l’administration publique montréalaise ne tient plus.
Montréal a longtemps fonctionné sur le plan politique selon un système d’accommodement entre les élites francophones et anglophones, typique des sociétés hétérogènes clivées sur le plan culturel et linguistique. Dans ce type du système, les élites des différentes communautés s’entendent entre elles pour se partager la représentation politique, mais abandonnent en contrepartie l’exécution des décisions aux différents corps de l’administration et aux intérêts sectoriels qui les entourent. Puisque le « diable est dans les détails », ce transfert d’autorité aux bureaucrates a pour objectif d’éviter que les conflits ne remontent au niveau politique et perturbent la cohabitation, parfois fragile, des élites et des communautés divisées qu’elles représentent.
Accommodement des élites et autonomie bureaucratique
Ce type d’arrangement politico-administratif est connu pour favoriser la segmentation sur le plan organisationnel, le travail en ‘silo’ et l’autonomie des structures bureaucratiques. Le pouvoir de coordination au centre du système est généralement faible et peu développé. Or, s’il faut croire Gérald Tremblay, c’est exactement ceci qui aurait fait le plus défaut au bureau du maire : son incapacité à percer les cultures corporatistes de l’administration municipale - et en particulier celle des ingénieurs et de leurs réseaux privés - pour obtenir l’information qui aurait permis la détection des pratiques révélées à la Commission Charbonneau.
« Nul n’est une île », et cette incapacité n’est pas que l’affaire d’un individu. Elle est aussi une affaire d’institution et de politique. Le bureau du maire ne dispose pas de moyens institutionnels suffisants pour superviser efficacement les services de la ville.
Une ville apolitique
Dans le système d’accommodement des élites qui implose maintenant sous nos yeux, les enjeux concernant Montréal étaient définis comme des enjeux techniques de structures et de gestion, d’efficacité et d’économies d’échelle. Cette conception plus administrative que politique de Montréal rendait possible la cohabitation des élites francophones et anglophones, pourtant divisées sur la question nationale à l’échelon provincial et fédéral. Montréal était de cette façon tenue à l’écart du clivage entre fédéralistes et souverainistes qui structure la vie politique québécoise depuis les années 1960.
Mais aujourd’hui, souverainistes et fédéralistes s’entendent pour mettre la question de Montréal à l’agenda politique du Québec. Les deux camps reconnaissent que c’est à Montréal que se joue l’avenir de la société québécoise et de sa capacité à tirer profit de la mondialisation. La Première ministre Marois disait dans un discours en novembre 2012, que Montréal était le « vaisseau amiral » dans le développement du Québec. En ceci, elle a pleinement raison. Il reste maintenant à doter Montréal d’un statut politique qui reflète mieux son pouvoir économique.
La répartition des pouvoirs entre Québec et ses villes et municipalités est une affaire strictement provinciale. Ici, point besoin du Canada pour se faire reconnaître comme société distincte ou comme État indépendant avec 50% plus 1 des voix. Toute l’autorité nécessaire se trouve à l’Assemblée nationale.
Montréal, poumon du Québec sur le monde
Québec doit revoir sa vision jacobine des affaires municipales. Montréal est depuis trop longtemps tenue par le gouvernement du Québec dans un état d’infantilisme politique et d’immaturité administrative qui ne favorise pas une véritable prise de responsabilités et de reddition de comptes par les autorités municipales. La centralisation du pouvoir à Québec nuit à la bonne gouvernance de Montréal et favorise l’opacité bureaucratique derrière laquelle se cache la corruption.
Devant les scandales à l’hôtel de ville, le gouvernement réagit en centralisant davantage les pouvoirs de décision à Québec. Quoique compréhensible, cette réaction ne constitue pas une solution efficace à plus long terme. C’est plutôt l’inverse qu’il faudrait faire : une décentralisation substantielle de pouvoirs pour renforcer la concurrence politique et ainsi revigorer les mécanismes de contrôle dans les villes et les municipalités.
La crise qui secoue présentement Montréal peut être vue comme un déprimant problème de corruption. Elle peut aussi être vue comme une occasion de déblocage pour repenser les horizons politiques de la société québécoise au 21ème siècle.
Le Québec s’est collectivement enrichi avec la maîtrise de ses ressources hydro-électriques depuis les années 1960. Pourquoi ne pas faire de même maintenant avec Montréal pour qu’elle puisse faire briller avec encore plus de force le Québec dans le monde?