2 posts categorized "Martial Foucault"

12/11/2010

G20: la guerre des monnaies peut continuer...

Le sommet du G20 vient de se conclure à Séoul sur un bilan qui ressemble étrangement à celui de la dernière rencontre à Toronto en juin dernier, à savoir un verre à moitié plein ou à moitié vide. Depuis plusieurs mois, les principales puissances économiques mondiales ont manifestement du mal à trouver un terrain d’entente sur la nature des réformes d’un nouvel ordre économique mondial. Pour sortir la tête haute de ce sommet, les Etats-Unis ou la France (qui sera le pays d’accueil de la prochaine rencontre en novembre 2011) n’ont pas hésité à parler d’un « premier G20 de l’après-crise ». Si nous décodons cette déclaration, cela signifie que les pays ne sont pas parvenus à s’entendre sur la feuille de route fixée à Londres en avril 2009 consistant à définir des mesures de régulation du système financier en allant au-delà des accords de Bâle III (qui oblige désormais les banques à disposer de 7% de fonds propres – plutôt que 2%). Mais il faut reconnaître que les membres du G20 ont des circonstances atténuantes : la guerre des monnaies s’est introduite dans le débat. Tout comme la crise des déficits budgétaires avait contaminé le débat du G20 à Toronto, la guerre des monnaies a retenu l’attention lors des négociations à Séoul. Doit-on en conclure que cette guerre des monnaies était plus urgente, plus cruciale que l’espoir placé dans la tentative de régulation financière ?

La réponse est double et soulève plusieurs défis de politique économique.

Tout d’abord, il serait maladroit de vouloir créer une hiérarchie, tant les enjeux sont imbriqués. La guerre des monnaies renvoie à ce que les économistes connaissent mieux sous le terme de dévaluation compétitive. Déprécier sa monnaie par un assouplissement quantitatif « quantitative easing » vise mécaniquement à rendre ses exportations plus attractives pour les importateurs potentiels. Par conséquent, une telle décision unilatérale implique qu’un pays (par exemple les Etats-Unis) anticipe stimuler son économie nationale par un accroissement de ses exportations au détriment d’une détérioration des termes de l’échange pour les autres pays, principalement ceux émergents (Chine, Brésil, Inde…). Au fond, ce choix de politique économique résonne comme la reconnaissance de l’échec de la politique budgétaire (+ de 1 500 milliards de dollars en plan de relance) des pays développés. Autre arme à la disposition des Etats, la politique monétaire est plus difficile à manipuler car elle relève en théorie d’une autorité indépendante, la banque centrale. Or en injectant 600 milliards de dollars dans l’économie, la Federal Reserve participe à raviver des réflexes protectionnistes que le premier G20 réuni à Washington avait réussi à éloigner par un engagement coordonné et coopératif des Etats. Donc en ce sens, ne pas avoir traité la guerre des monnaies aujourd’hui envoie un signal très spécieux : celui de laisser les Etats libres de leur choix de politique économique nationale, faisant abstraction d’un cadre d’action internationale légitimé par le G20.

Ensuite, l’absence de consensus à Séoul laisse entendre que la Chine et les Etats-Unis peuvent poursuivre leur guerre des monnaies sans être sanctionnés par un gendarme international. En renonçant à un contrôle des capitaux plus ferme, le Fonds Monétaire International porte une responsabilité indirecte dans cette fuite en avant. Dans cet environnement, il n’est guère étonnant que la Chine laisse flotter sa monnaie compte tenu de la quantité de réserves qu’elle détient (en particulier par l’achat de la dette américaine). D’un autre côté, renoncer au contrôle des échanges de capitaux, dans un système financier toujours aussi instable et souvent peu lisible par les institutions elles-mêmes,  incite d’autres pays à entrer à leur tour dans cette danse périlleuse de la dévaluation compétitive.

Dans cette guerre des monnaies, le G20 avait l’occasion d’asseoir sa légitimité institutionnelle en définissant un compromis plutôt qu’en repoussant cette question à demain en espérant que la Chine ou les USA finiront par céder. En suggérant aux Etats-Unis d’adopter une politique monétaire moins agressive et en proposant aux pays émergents une appréciation substantielle de leurs devises, le G20 aurait gagné en crédibilité et confirmait son rôle d’acteur décisif en situation de crise.

 

Martial Foucault

 

 

21/09/2009

Le G20 joue sa pertinence. (Article paru dans la Presse 24/09/09)

En avril 2009, au plus fort de la crise financière puis économique, les chefs d’État des 20 plus grandes puissances économiques se sont quittés après le sommet de Londres avec une série de mesures destinées à mettre un terme au tourbillon de la crise : lutte contre les paradis fiscaux, dotation de 1 100 milliards auprès du FMI pour soutenir le crédit, amélioration des règles comptables et de notation.

Six mois plus tard, les mêmes chefs d’État vont se retrouver à Pittsburgh pour faire un bilan de leurs précédentes décisions et établir un nouveau programme de réformes. Cette fois-ci, le contexte a profondément changé : premiers signes de reprise, regain des places boursières, confiance des ménages en progrès.

Pourtant, le G20 persiste dans un entêtement dialectique autour de la régulation des marchés financiers en proposant un encadrement plus strict des bonus accordés aux courtiers des établissements bancaires et financiers. Est-ce le cœur du problème ou une réponse politique à un problème qui dépasse largement la simple logique réglementaire ? Il y a de fortes raisons de penser qu’il s’agit essentiellement d’une réponse politique qui esquive les vrais défis économiques auxquels sont confrontés l’ensemble des pays – et pas seulement les 20 plus puissants.

L’effet symbolique – pour ne pas dire cosmétique – de lister les paradis fiscaux non coopératifs, de réclamer aux banques de meilleures règles prudentielles ou de blâmer les primes des meilleurs courtiers est sans commune mesure avec la nécessité d’assurer un retour durable à la croissance et, ce qui requiert une attention toute particulière, une stratégie de retour à l’équilibre budgétaire.

L’inscription à l’agenda du sommet du G20 de Pittsburgh des enjeux de finances publiques de l’après-crise paraît incontournable. Pourquoi ?

La première raison relève de la contrainte qu’une politique budgétaire expansionniste fait peser sur les choix publics futurs. En clair, une politique expansionniste qui stimule l’économie à court terme a souvent des conséquences négatives à long terme : inflation, augmentation des taux d’intérêt, etc. Et c’est sans compter sur le fait que les ménages et les entreprises puissent décider d’épargner (plutôt que de consommer) ou de moins investir aujourd’hui, anticipant les hausses d’impôts futures que les États devront inévitablement mettre en œuvre pour rembourser la dette accumulée pour financer les plans de relance. Cette limite des plans de relance budgétaire a été mise en évidence par l’économiste David Ricardo… au 18ème siècle !

Une deuxième raison tient à la nécessité de coordonner, à l’échelle internationale, les stratégies de retour à l’équilibre budgétaire pour éviter l’apparition de comportements de resquillage par certains pays. C’est le dilemme classique de la coopération internationale appliqué à la relance budgétaire : en l’absence de coopération, certains pays bénéficieront de l’engagement budgétaire des autres.

Il est donc impératif que les pays du G20 planifient ensemble l’après-crise, dès maintenant. Au cours de la dernière année, l’urgence commandait certes d’intervenir très rapidement. Résultat : 5 000 milliards de dollars engagés par les États sous forme de plans de relance et autres interventions des banques centrales. Le G20 joue maintenant sa pertinence et sa pérennité sur sa capacité à coordonner la réponse des grandes économies aux contrecoups de ces plans de relance d’une ampleur sans précédent. Il en va de la durabilité de la reprise économique mondiale, et de l’utilité même du G20 comme forum économique international.


Martial Foucault, professeur de science politique à l’Université de Montréal

Marcelin Joanis, professeur de science économique à l’Université de Sherbrooke